Ils se sont posĂ©s sur le terrain de Budaörs le mercredi midi. Le coup de fil de Claude Delluc mâannonçant la nouvelle a rendu la chose indĂ©niable. Quand nous en avons parlĂ© pour la premiĂšre fois lors du rassemblement ULM dâAvoriaz, cela me semblait si peu probable.
Quâils descendraient en vol, une douzaine, pour participer au raid âLes Carpatesâ, en suivant le Danube. De la source au Delta. Quelle belle idĂ©e, mais si invraisemblable.
Jâai proposĂ© de mâoccuper dâeux en Hongrie, mais je ne pensais pas avoir Ă le faire. MĂȘme quand jâai pris rendez vous pour eux avec la douane de Győr, je nây croyais pas encore. Et ils Ă©taient lĂ . ArrivĂ©s sur le terrain de Budaörs, en deux jours, avec des Ă©tapes de 600 km par jour derriĂšre eux. Venus de la rĂ©gion de Lyon, de Paris, mĂȘme de Nantes. 11 machines Ă©taient Ă©parpillĂ©es sur le gazon, sous les ailes des Antonov 2 et autres Cmelak. Pendulaires, trois axes, mĂȘme un gyro. Quand les employĂ©s du hangar mâont vu arriver, ils ont compris avec rĂ©signation leur malheur. Il va falloir mettre tous ces tas de feraille dans le hangar? Me lançait le chef des manut avec un semblant de colĂšre. Mais oui, bien sĂ»r, et avec plaisir en plus, je lui rĂ©pondis, faisant allusion au prix que la direction nous a demandĂ©: 12 euros par nuit et par machine, plus 4 euros de taxe par dĂ©collage, prix hors taxes bien sur.
Les braves âBlĂ©riotsâ et leurs accompagnateurs, 25 en tout, ont passĂ© 3 nuits dans un hĂŽtel de passe tout prĂšs de lâaĂ©rodrome de Budapest, pour un prix dĂ©fiant toute concurrence, certes il a fallu libĂ©rer les chambres Ă lit double, qui Ă©taient destinĂ©es entre 10 et 19 heures Ă une activitĂ© nettement plus lucrative. Pendant ces 2 jours, les baroudeurs ont pu faire connaissance avec les trĂ©sors touristiques de Budapest, tels que le chĂąteau, les bains thermales et les restos.Le samedi matin lâĂ©quipĂ©e Ă©toffĂ©e de 2 pendulaires hongrois Ă©tait prĂȘte pour le dĂ©part vers la Roumanie. Le ciel Ă©tait couvert et il y avait un risque dâorage, rien de bien mĂ©chant donc.
Nous avons dĂ©collĂ© presque en formation. Cela mâa tout de suite surpris. Jâavais une expĂ©rience plutĂŽt nĂ©gative dans ce domaine, et je mâattandais Ă ce que nous soyons dispersĂ©s dĂšs le dĂ©but. Mais nous avons pu voler en formation, ce qui est bien plus excitant et convivial.
DĂšs que nous sommes passĂ©s au dessus de la casse des Mig Yak et Su de AlsonĂ©medi, jâai dĂ» me rendre compte de lâimportance de lâavertissement de Bruno Picot figurant dans chaque flight book: âattention au radada, lignesâ En effet, une bonne majoritĂ© des pilotes ont rarement Ă©tĂ© Ă plus de 20 m de hauteur sol. Je dois avouer, mĂȘme le pilote sage que je suis, jâai fait lâexpĂ©rience, lors de lâĂ©tape Oradea-Arad, le dernier jour du raid. Câest quand mĂȘme quelque chose. MĂȘme dâun paysage Ă priori banal et monotone, jâai pu tirer une exaltation frĂ©nĂ©tique.
Au bout de 2 heures, nous sommes arrivĂ©s quasiment tous en mĂȘme temps Ă Szeged, (LHUD) oĂč les Hongrois ne nous ont pas loupĂ©s pour le coĂ»t des formalitĂ©s de douane. 47 + 11 Euros par machine, et ceci HT bien sĂ»r. Heureusement, tout comme Ă Budaörs, il y a eu moyen de nĂ©gocier un peu et au bout dâune heure de tracasserie nous avons pu redĂ©coller sous plan de vol vers Arad. Peu avant de passer en Roumanie et sur la frĂ©quence de Arad (LRAR), un CB nous barrait le chemin. En tant que leader de la formation Ă ce moment lĂ , jâai du prendre une dĂ©cision, et je ne comprends pas, comment jâai eu le culot de contourner vers le sud, le sens de dĂ©placement du nuage. Nous sommes passĂ©s prĂšs, mais câĂ©tait la bonne dĂ©cision, car au nord, dâautres gĂ©ants gris foncĂ©s Ă©taient cachĂ©s derriĂšre le premier, seul les trois axes ont pu se faufiler entre eux, avant quâils ne se soudent.
Sur la frĂ©quence de Arad, câĂ©tait la voix de Bruno Picot qui nous attendait.
DĂšs que nous nous sommes posĂ©s, nous avons dĂ©montĂ© nos ailes, cĂ©rĂ©monie qui est devenue notre quotidien par la suite. Sur le gazon de lâaeroport international de Arad, nous avons pu compter 42 ULM en tout, y compris des machines de fabrication locale, trois axes tout mĂ©talliques et motoplaneurs de forme assez curieuse, avec des pilotes qui allaient partager le tour avec nous.
Ce soir, nous avons pu faire la connaissance de Bruno et de son Ă©quipe.
Bruno est une force de la nature. Un gĂ©nie indomptable. Il a une sorte de magnĂ©tisme. Il est plein dâĂ©nergie, quâil est capable de redistribuer sans compter. Il a une capacitĂ© inouie pour souder, solidariser des gens. Sous sa main, mĂȘme des individus fonciĂšrement diffĂ©rents sont compactĂ©s en une troupe, en une collectivitĂ©, en une bande de copains.
Le paysage devenait valonneux, puis les collines ont cédé leurs places à de vraies montagnes.
A DĂ©va, nos hĂŽtes ont bien fait un effort pour nous accueillir. Adel Stef, le chef de lâaĂ©roport a accompli un quasi miracle en montant une structure tip de chez top avec trĂšs peu de moyens. Pour lui, câĂ©tait la consĂ©cration de nous inviter Ă un festin grandiose, accompagnĂ© de parade et de dĂ©monstrations aĂ©riennes. Le patron de Cosmos, Renaud Guy nous a gĂątĂ©s par un solo spectaculaire, qui lui a coĂ»tĂ© de remarques acerbes de la part de ses compatriotes â il a presque frĂŽlĂ© leurs machines garĂ©es pendant ses manoeuvres de pro.
Les Cunimbs commençant Ă sâinteresser a notre petite fĂȘte, nous avons pliĂ© bagages et sommes repartis vers Sibiu, oĂč lâavenir paraĂźssait plus prometteux. Les paysages qui se suivaient devenaient de plus en plus variĂ©s, ainsi que le ciel... A tel degrĂ© quâaprĂšs un certain temps le plaisir du tourisme sâest trouvĂ© remplacĂ© par notre seule prĂ©occupation qui Ă©tait de prĂ©voir la façon idĂ©ale pour contourner lâorage. Les optimistes, ayant jugĂ© suffisant pour cette Ă©tape dâĂ peine 40 minutes la quantitĂ© du carburant restant dans leurs rĂ©servoirs aprĂšs la matinĂ©e, ont commencĂ© Ă douter. Et oui, malgrĂ© toutes les thĂ©ories bien sages concernant les mĂ©thodes de calcul du carburant Ă emporter, encore une fois la vie nous a prouvĂ© que le seul moyen fiable Ă©tait dâavoir un rĂ©servoir plein Ă craquer. Effectivement, lâorage nous guettait au-dessus de Sibiu. Mais tout est bien qui finit bien, nous avons rĂ©ussi Ă attĂ©rir sous la flotte, accompagnĂ©e cette fois-ci de relativement peu de vent.
Le Cunimb disparu, les vols ont repris de plus belle, jusquâĂ la tombĂ©e de la nuit, que nous avons passĂ© les « riches » Ă lâhĂŽtel, les « pauvres » dans le hangar ou dans la salle de classe. Le matin, nous nous sommes levĂ©s de bonne heure pour attaquer la vallĂ©e de la riviĂšre Olt sous un vent de Nord fort et rafaleux. Les pilotes des Alpes bien expĂ©rimentĂ©s nous ont rassurĂ©s : ils ont jurĂ© que par pareil temps, ils nâenverraient personne au dessus de la montagne, mĂȘme pas leur belle-mĂšre. Les cumulus fleurissaient en toute beautĂ© et au dessus des cimes nous avions droit Ă des spectaculaires lenticulaires. Pour couronner le tout, Bruno nous annoncait, quâĂ notre destination, Ă Ploiesti il pleuvait des cordes. Tout le monde Ă©tait rongĂ© par le doute. Nous savions, que pendant au moins une heure de vol, nous serions dĂ©pendents de nos moulins. Dans la vallĂ©e, pas de vache possible en cas de panne. Ceux qui disposaient de parachute de secours avaient au moins une chance, mais le destin au moins des machines Ă©tait certain en cas de dĂ©faillance moteur. Ce qui me prĂ©occupait, câĂ©tait le givrage du carbu. LâĂ©cart entre la tempĂ©rature de lâair ambiant qui nous attendait Ă 2000 m et la tempĂ©rature du point de rosĂ©e Ă©tait de lâordre de 2-3 degrĂ©s, juste ce quâil faut pour un bon givrage comme on aimerait voir moins souvent. Le ique câĂ©tait que mon splendide 912 flambant neuf nâĂ©tait pas Ă©quipĂ© de chauffage carbu. Jâai trouvĂ© quâil Ă©tait dĂ©jĂ suffisamment sophistiquĂ©, je nâavais pas envie de le transformer encore plus en usine Ă gaz. Erreur... Seul remĂšde, jâai chargĂ© dans mon chariot une bonne bouteille dâeau de vie de prunes, du Slibovita, pour le verser sur le filtre Ă air, dans lâespoir dâun dĂ©givrage maison. Jâai mĂȘme essayĂ© les gestes, pour ĂȘtre entraĂźnĂ© si le moment arrive. Vers 11 heures, coup de fil de Bruno : le col est dĂ©gagĂ©, Pitesti reçoit, tout le monde en lâair en 30 minutes. Moins de 20 minutes plus tard, nous Ă©tions tous en train de gagner de lâaltitude vers 2000 mĂštres. Dix minutes plus tard, jâĂ©tais dĂ©jĂ sur le chemin du retour. Ăvidemment, vers 1400 mĂštres mon Rotax sâest mis Ă tousser, perdre les tours, se gigoter dans tous les sens, en un mot : givrer. Givrer Ă 4800 tours, câest quand mĂȘme inoui, me suisâje dit, mais le destin câest le destin⊠Pendant un moment, jâai tentĂ© de gaver le filtre Ă air de slibovita, sans effet quelconque. Jâai rĂ©ussi Ă regagner lâaĂ©roport, et continuĂ© Ă faire tourner le moteur sur terre, pour faire fondre la glace. Les pilotes locaux mâont passĂ© le tuyeau comme quoi il suffisait de monter Ă 800 mĂštres pour traverser la vallĂ©e si on avait les couilles pour passer en frĂŽlant les rochers. Je mây prĂ©parais avec une douce rĂ©signation. Sâil faut se scratcher contre les parois des Carpates, tant pis. Comme le disait NapolĂ©on : Quand le temps est venu, le moment est arrivĂ©. Mais comme le moteur ne voulait toujours pas se remettre Ă tourner rond, jâai fini par appeler le grand gourou des Rotax, Pierre Pouchez, qui fonctionnait comme le Saint-Bernard des cas perdus. Il a Ă©coutĂ© par tĂ©lĂ©phone le bruit de mon moteur pour diagnostiquer. Une demie-heure aprĂšs il sâest apparu avec son « ambulance », une Mercedes Vito chargĂ©e dâune remorque. Il a mis 5 minutes Ă reserrer lâĂ©crou de fixation de lâaiguille tombĂ©e dans la cuve du carburateur gauche, Ă synchroniser les carburateurs et Ă rĂ©gler le moteur, au semple ouĂŻe et odorat des gaz dâĂ©chappement, puis il mâa fait gentiment partir pour Pitesti pour rattraper les autres. Jâai attĂ©ri deux heures et 10 minutes plus tard Ă Ploiesti, aprĂšs avoir reçu le message par SMS comme quoi ils Ă©tait dĂ©jĂ repartis de Pitesti. Jâai fait les derniers 50 kilomĂštres sous une pluie battante, en zigzaguant entre les puits de pĂ©trole. En arrivant, nous avons fini la bouteille dâeau de vie, et nous avons constatĂ© avec satisfaction que nous avons tous survĂ©cu la plus grande aventure de notre vie.
Sous les tentes amĂ©nagĂ©es en bordure du terrain dâaviation, le mĂȘme que les alemands ont utilisĂ© pour y loger des centaines de Messerschmitt et de Focke Wulf pendant la deuxiĂšme guerre mondiale, nous nous sommes gavĂ©s comme jamais. LâadrĂ©naline, of course. Bien mangĂ©, bien bu, le beau temps aprĂšs la pluie, les pilotes locaux ont sorti trois Extra 300 pour nous Ă©merveiller par un spectacle de voltige. HabituĂ©s Ă voir PĂ©ter Bessenyei, le champion hongrois dans ce genre, nous les avons quand mĂȘme honorĂ©s dâun sourire bienveillant et encouragant. Plus tard, leur chef nous sâest plaint du prix de misĂšre que ses gars avaient reçu pour leurs efforts. Je ne voulais pas le dĂ©cevoir en lui dĂ©voilant quâà « lâOuest dĂ©veloppĂ© » les pilotes doivent mĂȘme payer si lâenvie subite de voltiger les prend. Le soir, une fĂȘte dâenfer nous attendait, avec musique et danse jusquâau petit matin. Les musiciens tziganes Ă©taient excellents, le contrebassiste grattait et faisait tourner son istrument comme Willie Dixon au meilleur de sa forme. Notre musicien des alpages a squattĂ© le piano pour un moment, tout le monde Ă©tait ravi dâentendre des chansons françaises, y compris les locaux. Au rĂ©veil, pas de gueule de bois, ce qui prouve que mĂȘme derriĂšre les Carpates, les gens savent fabriquer du vin (mĂȘme) Ă partir du raisin.
Bien que lâĂ©tape Ploiesti-Calarasi ait Ă©tĂ© plate, le vol au niveau des pĂąquerettes presque obligatoire a rĂ©compensĂ© lâabsence de relief. Nous avons attendu Ă voir de la pauvretĂ© et de la saletĂ©, mais au milieu des bidonvilles se dressent depuis peu de plus en plus de forteresses de luxe avec piscine et piste dâatterrissage pour hĂ©lico. Sur les routes qui nâont jamais vu de goudron les charettes sâenfoncent jusquâĂ lâessieu, mais dans les jardins des riches nous avons vu des Mercedes et des Ferrari.
Calarasi est vraiment au bout du monde. Jâai eu lâimpression quâen continuant sur 210°, on commencerait Ă revenir par lâautre cĂŽtĂ©. Des vrais baroudeurs, comme Andor KĂĄntĂĄs, qui ont rĂ©ellement Ă©tĂ© de lâautre cĂŽtĂ© de la terre vont rire en lisant ces lignes, mais je pense quâils me comprendront en voyant cette photo.
Nous avons quitté ce monument de la déchéance pour suivre le Danube vers Tulcea
De lâautre cĂŽtĂ© de la crĂȘte, câĂ©tait le grand beau temps. On aurait mĂȘme pas pu imaginer mĂ©taphore aussi forte pour montrer la diffĂ©rence entre la Transsylvanie et la Moldavie. Pendant des longues minutes jâai attendu les autres arriver de ce cĂŽtĂ©-ci. Ils surgissaient dâen dessous du nuage un par un, cela devait ĂȘtre la dĂ©livrance pour eux. Les prendre en photo Ă ce moment-lĂ mâa procurĂ© un immense plaisir. Finalement, ils ont tous rĂ©ussi, saufâŠâŠâŠâŠ., un transporteur belge, qui a jugĂ© plus sĂ»r de faire demi-tour. Personne ne lâa critiquĂ© pour sa dĂ©cision. Le lendemain matin il a pu nous rejoindre Ă Brasov.
Jâai mitraillĂ© les miraculĂ©s de la montagne, jusquâĂ ce que mon wingman BalĂĄzs arrive. Il nâa pas pris de risque, il a traversĂ© Ă 3500 m QNH, bien au dessus de la couche. EuphorisĂ©s par la traversĂ©e, nous avons pris la dĂ©cision de faire un petit dĂ©tour, pour visiter le lac Sainte Anne, en pleine territoire sicule. Lâescapade dâune heure au dessus des paysages ou vit encore aujourdâhui une minoritĂ© hongroise, Ă©tait un accomplissement pour moi. Pas seulement pour la beautĂ© des monts et vallĂ©es, pour le charme des villages, mais surtout pour la raison subjective, que jâai vadrouillĂ© pendant des mois au cours de ma jeunesse dans ces endroits-la, jâai regardĂ© les aigles et jâessayais de deviner ce quâils pouvaient avoir comme perspective de la haut. LĂ , jâai pu me rendre compte que le paysage Ă©tait encore plus majestueux que ce que je me suis imaginĂ© Ă lâĂ©poque. Le fait que nous soyons les premiers Ă nous rendre compte de cela, et du point de vue dâun pendulaire, aĂ©ronef qui permet dâĂȘtre en contact vraiment intime avec lâenvironnement, nâa fait quâintensifier notre extase. Quand je me suis posĂ© sur le petit terrain de Brasov, jâĂ©tais comme un droguĂ©, qui vient dâavoir sa dose. Moi, jâai eu la dose pour une vie ce jour-lĂĄ.
Ce soir-lĂ , câĂ©tait la grand fĂȘte Ă chier partout dans la cave de la pension des riches. Jâoserais dire, câĂ©tait plus quâune bringue, câĂ©tait un rituel dâinitiation. Le vin rouge coulait Ă flot, nous pataugaions dedans, comme dans le sang Ă lâabattoir. Au pays de Dracula, câĂ©tait symbolique.
Je me permets un petit détour sur ce point.
Le personnage de Dracula, et du vampire en gĂ©nĂ©ral est assez mal connu. En Transsylvanie, ou au cours de lâhistoire trois rĂ©ligions se sont empressĂ©es Ă interdire tout ce qui Ă©tait proche de la libertĂ© personnelle, les gens ont inventĂ© un personnage, qui symbolisait la libertĂ© absolue. Ce personnage Ă©tait forcĂ©ment immortel, noble, un rien pervert, sexuellement dĂ©viant, et surtout, il avait la capacitĂ© de voler. Et câest lĂ oĂč cela devient touchant: dans les annĂ©es 1500, un roumain qui volait en VFR de nuit, (hĂ©las seulement de nuit), cela relĂšgue Lilienthal ou les frĂšres Wright au rang des imposteurs. Sans instrumentation, avec une seule cape comme voilure, lâancĂȘtre voir lâarchetype de tous les ULMistes est sans nul doute le vampire. Voila pourquoi ce pĂ©lerinage en Transsylvanie est avant tout: un retour aux sources.
Le matin, câĂ©tait un ciel de traĂźne, visibilitĂ© de plusieurs centaines de km et Ă©videmment, un vent dâest dâune rare brutalitĂ©. Cela tombait mal, car nous devions voler dans les rouleaux des montagnes de plus de 2300 m pour aller jeter un coup dâoeuil sur le chĂąteau de Bran, dernier domicile connu du sublime comte. Jâai pris quelques photos, mais lâesprit du grand maĂźtre ne devait pas aimer cela, car mĂȘme lâIxess, rĂ©putĂ© trĂ©s stable et coopĂ©ratif dans la turbulence, avait tendance Ă vouloir passer sous le chariot.
AprĂ©s le chĂąteau, nous avons soigneusement contournĂ© la zone de la base militaire de Brasov Ghimbav et nous nous sommes laissĂ©s pousser par le vent. Des vitesses de 170 km/h au GPS ne nous impressionnaient plus. Nous avons grimpĂ© Ă 2000 m pour voir toute la chaĂźne des Carpates de lâintĂ©rieur, câĂ©tait grandiose. Jâai compris, pourquoi nos ancĂȘtres appellaient ce pays: âTĂŒndĂ©rkertâ, le jardin de fĂ©es. ArrivĂ©s au dessus de Sighisoara, autre ville saxonne plus ou moins dĂ©sertĂ©e par la minoritĂ© allemande dans les annĂ©es 70, nous sommes redescendus pour immortaliser le chĂąteau et la ville historique lâentourant.
20 minutes plus tard, câĂ©tait lâarrivĂ©e Ă Targu Mures, ma ville natale. Je vous Ă©pargne de mes Ă©motions. Le magnifique terrain en herbe oĂč lâactivitĂ© planeur est en pleine effervescence encore aujourdâhui est vouĂ© a disparaĂźtre sous peu. Une zone industrielle grandira Ă sa place, la logique implaçable du capitalisme prendra le dessus dans quelque mois. Câest la raison pour laquelle nos amis pilotes roumains tenaient absolument Ă ce quâil y ait une manifestation, que nous attirions lâattention des gens avec notre passage. Le vent nous a empĂȘchĂ©s de faire le max, quelque baptĂȘmes ont pu quand mĂȘme Ă©gayer la situation. Ma famille et des amis sont venus nous rencontrer au terrain, jâavais envie de les emmener tous faire un tour au dessus de la ville, mais jâai osĂ© bĂąptiser que les plus hardis, qui ne risquaient pas de rester traumatisĂ©s par les figures de rock and roll acrobatique que les rafales de vent mâobligaient Ă faire.
Le trajet Targu Mures â Cluj Ă©tait rapide au dessus des dunes vertes de la rĂ©gion appellĂ©e âcampieâ, câest Ă dire le prĂ©s. On dirait le Sahara, mais couverte de pĂąturages. LâaĂ©rodrome de Cluj Someseni se trouve juste Ă cĂŽte de lâaĂ©roport international, seuls la route nationale et le chemin de fer les sĂ©parent. Bruno craignait fort quâun de nous se pose sur la piste en dure, câest Ă dire le RW, mais finalement tout câest bien passĂ©. Certes, en arrivant, sur la frĂ©quence de la tour il a fallu attendre que les cochers des liners arrĂȘtent de jacasser, afin de pouvoir placer notre message. Le controleur de la tour semblait blasĂ©, comme si câĂ©tait leur pain quotidien de faire atterir des pendulaires entre deux B737 ou autres ATR42. Ils nous ont simplement recommandĂ© la piste en herbe. Nous savions, que au bout du terrain se trouvait la pension des riches, mais la veille Bruno nous a menacĂ© dâamendes de 5 euros pour le cas oĂč nous irions en pendulaire. A ma grande surprise, dĂšs que mes roues ont touchĂ© le sol, Bruno mâa invitĂ© sur la frĂ©quence de la tour de taxier directement au parking de la pension. Je craignais une provoc, mais jâai executĂ©. Une immense table nous attendait sur le gazon devant la pension, croulant sous tout ce qui se fait de mieux en terme de dĂ©lices en Roumanie. On aurait pu se restaurer Ă©tant assis dans nos pendulaires.
Ce soir-lĂ , un match de foot devait avoir lieu sur le gazon du terrain dâaviation, les riches contre les pauvres. MalgrĂ© les Ă©motions de la journĂ©e et le vin rouge dĂ©gustĂ© sous le soleil de plomb, on se prĂ©parait avec une motivation certaine. Les pilotes roumains ont eu vent de lâĂ©vĂ©nement sportif et ils ont voulu faire partie de cette farce, Ă©videmment. On ne sait pas trop, comment, ils ont appris, quâil sâagissait dâun match entre riches et pauvres. Il va de soi quâils ont compris que nous autres riches les avons dĂ©signĂ©s comme pauvres. Ils se sont retirĂ©s fĂąchĂ©s, le match a Ă©tĂ© annulĂ©. Cela mâa pris plusieurs heures et plusieurs bouteilles dâeau de vie de prune pour expliquer la situation rĂ©elle et faire admettre, que les pauvres Ă©taient parmi nous, dâautant plus, que tous les pilotes roumains avaient le droit tous les soirs Ă des couchage en lits (dans les dortoirs des aĂ©roclubs visitĂ©s), tandis que nous autres francais Ă©tions heureux de pouvoir dormir Ă meme le sol des hangars par moment, et comble, les pilotes roumains Ă©taient payĂ©s pour les heures de vol accomplis lors du raid.
Le briefing fut court, le repas bien arrosĂ©. Je me souviens vaguement dâune bataille de boulettes de pain et de papier distribuĂ©s par lâorganisation. Avant de sombrer dans lâinfantilisme, jâai sombrĂ© dans le sommeil.
Je tiens Ă demander des excuses Ă mes camarades du raid pour les fois oĂč je me suis assoupi Ă table. LâintensitĂ© des Ă©motions durant la journĂ©e ajoutĂ©e Ă la nourriture copieuse et Ă la force des vins roumains mâont souvent disjonctĂ©, mais comme lâambiance Ă©tait toujours dĂ©tendue et joviale, cela ne mâa jamais vraiment gĂȘnĂ©.
Le dernier jour nous a encore gratifiĂ©s de paysages somptueuses. AprĂ©s le contournement de Cluj, nous avons fait un petit tour au dessus du lac artificiel de Tarnita, puis nous avons suivi la riviĂšre Cris, descendant parfois au fond du canyon par lequel ce ruisseau traverse les Carpates occidentaux. Nous avons immortalisĂ© les chateaux en construction perpĂ©tuelle des gitans Ă Huedin et nous avons visitĂ© quelques villages dans les vallĂ©es de la rĂ©gion appellĂ© Kalotaszeg. AprĂšs le Col du Roy, nous avons aperçu une demi-douzaine de pendulaires posĂ©s sur un champ assez peu frĂ©quentable, jâai mĂȘme cru Ă une vache ou encore pire. En rĂ©alitĂ©, câĂ©taient nos auvergnats, qui ont pris lâhabitude de se poser systĂ©matiquement entre deux aĂ©rodromes en pleine nature, pour manger le fromage, comme ils le disaient. Câest cela, la libertĂ© du pendulaire.
Nous avons fait du radada au dessus des digues des lacs artificiels avant dâarriver Ă Oradea.
Pique-nique, petite fĂȘte aĂ©rienne improvisĂ©e par Renaud Guy et Erick Lejeune, et câĂ©tait dĂ©ja la derniĂšre Ă©tape pour rejoindre Arad. Comme je le disais plus haut, lors de cette Ă©tape, nous avons nous mĂȘmes rarement volĂ© au dessus de 20 m. Câest fou, comment un paysage Ă priori banal peut devenir excitant, quant on le gratte de prĂšs.
ArrivĂ©s Ă Arad, les machines ont Ă©tĂ© dĂ©montĂ©es et chargĂ©es sur des remorques Ă une vitesse inouĂŻe. Câest vrai que lâorage du jour Ă©tait sur le point dâĂ©clater. Les Ă©quipages qui rentraient en vol ont pu profiter des charmes dâune employĂ©e de lâaĂ©roport aux formes avantageuses et douĂ©e dâun sens de lâhumour typiquement roumain pour dĂ©poser le plan de vol pour le lendemain. Cela a pris des heures, mais il nây a pas eu de regret.
Le soir, câĂ©tait lâhĂŽtel de luxe pour tout le monde. La soirĂ©e dâadieu Ă©tait certainement Ă la hauteur de la semaine. Dommage que jâĂ©tais Ă moitiĂ© dans le coltard.
Le lendemain Ă 8 h 10 nous roues quittaient le bitume de lâaĂ©roport dâArad pour un vol sous la pluie et sous un plafond de moins de 100 m jusquâĂ Szeged. AprĂšs, câĂ©tait plus serein, avec un rien de vent de face, et des cumulus qui bourgonnaient tout autour. A 12h05 heure locale, nous nous sommes posĂ©s sur le splendide petit terrain de Farkashegy, Le Mont Aux Loups, Ă un jet de pierre de Budapest.
Moins dâune demi-heure plus tard, lâorage battait son plein.
Une chose est sure:
DorĂ©navant nous pouvons parler de notre vie dâavant et dâaprĂšs le tour des Carpates.