GĂĄbor Rabnecz est connu sous le nom de "RabinyĂł" dans le milieu du paramoteur en Hongrie et au niveau international. Il a commencĂ© avec les planeurs, puis a choisi le pendulaire, au cours de sa carriĂšre volontaire et non exempte des repos forcĂ©s, il a plusieurs fois touchĂ© le fond, mais a toujours pu se relever et reproduire des triomphes. Champion dâEurope Ă deux reprises, champion du monde, et propriĂ©taire de lâemblĂšme « Colibri de diamant ». Nous avons recueilli ses propos sur lâarriĂšre-plan de cette performance extraordinaire, sur les obstacles et les rĂ©ussites, sur les conditions incontournables qui rendent difficile la compĂ©tition.
Câest mon copain dâĂ©cole, Laci SzĂ©p, qui mâa passĂ© le virus : il parlait du vol avec une telle vocation et enthousiasme presque pathĂ©tique, que je nâai pas pu rĂ©sister, il fallait que jâessaie â pour la premiĂšre fois, en planeur. Je me rappelle toujours de la date de mon premier dĂ©collage, câĂ©tait le 5 avril 1976, Ă lâaĂ©roport de DunaĂșjvĂĄros, avec mon instructeur ZoltĂĄn Kiss, qui a malheureusement dĂ©cĂ©dĂ© depuis. Jâai passĂ© tous les examens, y compris la « couronne dâargent » dâun seul dĂ©collage. En 1978, jâĂ©tais proposĂ© Ă la compĂ©tition â les instructeurs mâont trouvĂ© prometteur - mais comme on dit, il faut que jeunesse se passe. Jâai mis Ă cĂŽtĂ© le vol parce que jâavais dâautres activitĂ©s importantes « impossibles Ă remettre ». AprĂšs 9 ans de pause, jâai recommencĂ©, mais avec le pendulaire. AprĂšs 20 dĂ©collages sur une machine Ă deux commandes â 1 heures 20 de vol, Laci mâa laissĂ© dĂ©coller tout seul. "Câest la mĂȘme chose, juste il monte moins bien » - mâa dit-il donnĂ© comme viatique. Les dĂ©buts de la compĂ©titionMon premier concours international Ă©tait le Championnat dâEurope organisĂ© Ă ĂrsekcsanĂĄd en 1991. Dans la catĂ©gorie monoplace Ă aile souple jâai eu la 7e place, ce qui nâĂ©tait pas mal pour une premiĂšre fois, mais ce qui a Ă©tĂ© plus important pour moi, câĂ©tait de constater que comparĂ©s aux pilotes Ă©trangers, nous nâavions pas Ă rougir. La diffĂ©rence Ă©tait dans lâĂ©quipement, pas dans les compĂ©tences : avec les machines de miracle comme des Cosmos et des Chronos, pas de chance pour mon aile ApollĂł C4 et mon moteur Trabant ... Riche de cette expĂ©rience, jâai participĂ© au Championnat dâEurope de 1994 en Pologne avec un Ă©quipement beaucoup plus moderne - moteur Rotax 447 et aile Air Creation SX. Jâai eu cette derniĂšre juste avant le concours, et je nâai pas eu le temps « dâapprofondir notre relation ». RĂ©sultat, jâai ratĂ© lâĂ©preuve du dernier jour, la prĂ©cision dâatterrissage â une Ă©preuve de nerfs, trĂšs stressante â et je me suis retrouvĂ© septiĂšme.
Porté par le vent, sans moteur
De toute façon, Air Creation sâest avĂ©rĂ© un bon choix, si bien que jusquâĂ aujourdâhui, je vole avec ce type dâaile. Les moteurs allaient et venaient: en 1995, au Championnat dâEurope tenu en Angleterre jâai volĂ© avec un Rotax 508. Câest lĂ que jâai produit le rĂ©sultat le plus marquant de ma vie : dans lâĂ©preuve dâĂ©conomie, jâai passĂ© 7 heures 17 minutes en lâair avec 4,5 kg de carburant; mon camarade dâĂ©quipe et de club, Endre ThurĂłczi mâa dĂ©passĂ© avec son rĂ©sultat de 7 heures 52 minutes. Puisquâil nây avait pas dâheure dâatterrissage fixe, nous avons tous les deux atterri aprĂšs la couchĂ©e du soleil, en se faisant remarquer par les pilotes top reconnus au niveau international. Ce championnat nous a apportĂ© une double triomphe, jâai Ă©tĂ© premier, et Endre a eu la mĂ©daille dâargent. Depuis, câest presque toujours nous qui sommes les premiers dans les Ă©preuves dâĂ©conomie, tout en rivalisant dans notre petit « championnat domestique ». Aujourdâhui, il est trĂšs rare que quelquâun dĂ©colle avant nous, par contre les autres nous suivent quand nous partons.
Round Hungary
En Hongrie, Ă deux reprises, en 1994 et 95 a Ă©tĂ© organisĂ© le concours Round Hungary. Les participants ont fait â ceux qui ont pu - le tour du pays le long des frontiĂšres en une journĂ©e, de la levĂ©e du soleil jusqu âĂ la couchĂ©e. En 1995, jâai fait le trajet de 1050 km Ă une vitesse moyenne de 98 km/h, et reçu donc lâemblĂšme « Colibri de diamant ».
Victoire sur la terre des ZoulousTerrain homogĂšne, rocheux-montagneux, trĂšs peu de points de navigation, pratiquement pas de possibilitĂ© dâatterrissage â voici briĂšvement le site en Afrique de Sud du Championnat du Monde de 1996. Et tout ça couronnĂ© par le temps dâhiver : des pĂ©riodes de soleil, de brume et de pluie qui sâalternent dans la mĂȘme journĂ©e. Les organisateurs ont bien fait leur boulot : ils ont trouvĂ© des Ă©preuves assez dures, dignes du championnat. Avant lâannonce des rĂ©sultats dĂ©finitifs, Endre ThurĂłczi Ă©tait encore premier, et moi deuxiĂšme dans la catĂ©gorie des monoplaces Ă aile souple. Suite Ă la guerre diplomatique qui sâest manifestĂ©e sous forme des rĂ©clamations, finalement jâai eu le titre du champion du monde, et mon camarade seulement la troisiĂšme place.
Des hauts et des bas
Les pilotes expĂ©rimentĂ©s ont tendance Ă se laisser porter par la routine, ce qui peut parfois gĂ©nĂ©rer des erreurs fatales. Aux Jeux Mondiaux AĂ©riens de 1997 en Turquie (World Air Games - WAG) jâĂ©tais trĂšs bien placĂ© pendant tout le concours. Le dernier jour, pendant lâĂ©preuve de navigation, un blocage momentanĂ© a fait que jâai fait un virage dans le mauvais sens. Bien quâen gĂ©nĂ©ral je me rends compte immĂ©diatement de mon erreur, cette fois-ci jâai continuĂ© avec la conviction dâĂȘtre sur le bon trajet. Jâai pestĂ© contre le directeur de la compĂ©tition, jusquâĂ ce quâaprĂšs avoir atterri, les autres mâont fait comprendre que ce nâĂ©tait pas de sa faute, câĂ©tait moi qui « avait le dos tournĂ© Ă lâĂ©cran ». Cette gaffe mâa fait louper un bon nombre de photos et de signes, ainsi que le podium. LâannĂ©e suivante, au championnat du monde de MatkĂłpuszta, jâavais un peu le mĂȘme sentiment que les guerriers romains pouvaient avoir : lâentraĂźnement Ă©tait deux fois plus dur que lâĂ©preuve elle-mĂȘme. Points de navigation loin dâĂȘtre en abondance : le paysage Ă©tait constituĂ© de pavillons et de piscines du mĂȘme style. Le vent sâest souvent intensifiĂ©, Ă©querre dans une main, crayon dans lâautre, et barre lĂąchĂ©e... Pendant de longues secondes, je nâarrivais pas Ă maĂźtriser la machine. Comme la plupart des exercices Ă©taient chronomĂ©trĂ©s, jâai volĂ© bas, pour mieux avancer dans le vent plus faible. Cependant â comme câest connu â le moteur a le droit de sâarrĂȘter Ă tout moment, et dans ce cas, le terrain au-dessous est quand mĂȘme pas nĂ©gligeable. De plus, naviguer en bas est plus difficile. En 2000, jâai eu la mĂ©daille dâargent au Championnat du Monde en France. Selon les rĂ©sultats prĂ©alables, jâaurais eu la premiĂšre place, mais les rĂ©clamations ont dĂ©cidĂ© autrement. Ensuite, repos forcĂ© pendant une longue pĂ©riode, puisque mon travail ne mâa pas permis de participer au WAG dâEspagne.
Foi, amour â et le bol
Celui qui ne croit pas Ă sa victoire, ne vaincra jamais. Par contre, si tu arrives au sommet, tu seras moins motivĂ© pour prouver encore quelque chose. Aujourdâhui, je nâĂ©prouve de lâexcitation quâau dĂ©but des Ă©preuves ; une fois dans lâair, jâessaie produire 100 % dans toutes les conditions.
Dans les concours internationaux oĂč le niveau des pilotes est trĂšs Ă©quilibrĂ©, il nâest pas rare que lâordre dĂ©finitif dĂ©pende de la chance. Mais pour reconnaĂźtre la chance et pour en profiter, il faut avoir de solides connaissances dâaviation, un pilote peu expĂ©rimentĂ© passera probablement Ă cĂŽtĂ© des occasions.
Comme par exemple au Championnat dâEurope de lâannĂ©e derniĂšre, tenu Ă Nagykanizsa. Pendant une Ă©preuve de navigation â encore une sorte de court-circuit - jâai tournĂ© un peu avant le signe delta; je nâai ratĂ© âqueâ une porte de chrono, un signe de bĂąche et une photo. Cependant, jâai eu le bol sous forme dâun orage qui sâest soudain Ă©clatĂ© sur le dernier quart des concurrents. A cause de lâorage, cette partie de lâĂ©preuve a Ă©tĂ© annulĂ©e juste Ă partir du delta, mais comme jusque lĂ jâai eu un rĂ©sultat de 96 %, cela a suffi pour gagner la journĂ©e.
Câest lâĂ©preuve dâĂ©conomie du dernier jour qui mâa apportĂ© le titre de champion dâEurope. La mĂ©tĂ©o annonçait des conditions parfaites, mais au dĂ©but cela nâavait pas lâair. Cependant, comme mon plus grand rival venait de dĂ©coller, moi aussi jâĂ©tais bien obligĂ© de le suivre. Dans la premiĂšre demi-heure, la âbravoure hongroiseâ habituelle semblait nous Ă©chapper. Puis, le temps est devenu favorable: 15-20 machines flottaient dans le mĂȘme thermique, Ă 50-70 mĂštres de diffĂ©rence, sur le plafond ou autour.
Jâai passĂ© dans lâair 3 heures 53 minutes, et ramenĂ© 3,4 litres de carburant des 6 emportĂ©s. A 18 heures, jâai atterri sur lâinstruction des organisateurs, comme premier de la journĂ©e et champion dâEurope.
Aide-toi ...
En Hongrie, parmi les sports techniques il nây a que la course automobile qui jouit dâune publicitĂ© suffisante et donc de subventions. Les mĂ©dia ne sâintĂ©ressent pas particuliĂšrement aux sports aĂ©riens, ce qui dĂ©motive les sponsors potentiels. Pourtant, il existe bien des exemples: en Pologne, le vol est considĂ©rĂ© comme un sport national. De plus, mĂȘme le milieu des pilotes a tendance de ne pas apprĂ©cier âles clochards du cielâ, malgrĂ© que câest nous qui avons le plus de rĂ©sultats. Sans soutien, ma prĂ©paration aux Ă©preuves consiste Ă ramasser les Ă©quipements et monter dans la bagnole. Mon travail nâest pas non plus trĂšs compatible, je suis apiculteur, ce qui est aussi un mĂ©tier liĂ© Ă la saison dâĂ©tĂ©.
Je ne veux quand mĂȘme pas me plaindre, puisque grĂące au sport et surtout Ă mon club, le Dunaferr, jâai parcouru la moitiĂ© du monde, vĂ©cu des aventures et trouvĂ© des amis.
â Experimentalâ
Ma plus grosse fiertĂ© Ă cĂŽtĂ© de mes rĂ©sultats sportifs, câest mon avion Experimental, de ma propre conception, que jâai construit encore dans lâĂšre communiste, entre 1980 et 85. Ca mâa pris un bout de temps de recueillir les matĂ©riaux en bois des diffĂ©rents endroits, les instruments mâont Ă©tĂ© fournis par mes amis, âsauvĂ©sâ des sociĂ©tĂ©s dâaviation Ă©tatiques. Jâai bricolĂ© moi-mĂȘme le propulseur, en utilisant deux moteurs Trabant; un rĂ©sultat de 52 chevaux. Il a Ă©tĂ© essayĂ© avec succĂšs par un ancien pilote de Messerschmitt. Ces derniĂšres annĂ©es â en partie Ă cause des compĂ©titions - jâai un peu nĂ©gligĂ© lâExperimental. JâespĂšre quâon aura bientĂŽt plus de temps Ă passer ensembleâŠ
En juillet, la machine de RabinyĂł sâest heurtĂ©e contre un autre ul en Slovaquie; lui et son passager se sont tuĂ©s en sâĂ©crasant par terre. LâautoritĂ© slovaque est en train dâanalyser lâaccident. Une chose est sure, la machine de RabinyĂł nâĂ©tait pas Ă©quipĂ©e de parachute de secours, lâautre oui â ce qui a sauvĂ© la vie de son pilote et passager. Sans pouvoir annuler cette tragĂ©die, espĂ©rons que le parachute sera davantage utilisĂ© et pourra sauver dâautres vies...
âŠĂ un ami dâenfance. On repense Ă nos prĂ©tentions de gosses de sauver le monde, aux plans dâavions dessinĂ©s pendant les rĂ©crĂ©s: la vie de GĂĄbor Ă©tait toujours Ă©troitement liĂ©e au vol, bien quâĂ cette Ă©poque encore en thĂ©orie seulement. La pratique, GĂĄbor lâa acquise Ă lâaĂ©roport de DunaĂșjvĂĄros â lĂ oĂč il a commencĂ© Ă travailler aprĂšs les Ă©tudes secondaires. Peu de gens savaient â et pour cela il fallait le connaĂźtre, son fanatisme et son engagement sincĂšre â, quâentre 1980 et â85 il avait conçu et construit au prix de pas mal de sacrifices un avion, lequel volait dâailleurs assez bien. Bien quâun atterrissage ratĂ© lâa dĂ©couragĂ© au point dâabandonner cette expĂ©rience, plus tard câest ce qui lâa poussĂ© â aprĂšs deux heures et demi de formation pratique â au vol en pendulaire, ce qui est devenu sa raison dâĂȘtre, son oeuvre et source de triomphe. Maintenant que tu es parti, nos dĂ©bats, ta compĂ©tence, ta poignĂ©e de main ferme et chaleureuse nous manqueront. Tu nous a montrĂ© le chemin pour beaucoup de choses et je crois et jâespĂšre que tout ça ne va pas se perdre avec tes coupes et mĂ©dailles. Nous savons que tu voulais encore faire plein de choses pour le vol, tes nombreuses expĂ©riences dans la compĂ©tition auraient constituĂ© une source inĂ©puisable. Le destin a dĂ©cidĂ© autrement. Tu vas nous manquer, bien que tes cendres resteront pour toujours Ă lâaĂ©roport de Baja. Nous garderons ton souvenir.
GĂĄbor Pestuka
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