Jâai sacrifiĂ© le Spaghetti Tour sur lâautel de la paix du mĂ©nage, avec un peu de regrets mais au moins la conscience tranquille. Si le hasard existait, on pourrait lâaccuser du fait que ma compagne cette fois-ci avait choisi comme lieu des vacances lâItalie au lieu de la Croatie. Toujours est-il quâĂ peine dix jour aprĂšs le raid de Fly in Paris, je me suis aussi aventurĂ© en Italie; seulement, au lieu dâen faire le tour dans lâair, je me suis contentĂ© de lâespoir des vols locaux en paramoteur, en complĂ©ment et compensation des visites de Siena, Pisa, et des plages.
Il faut quand mĂȘme dire quâil nâĂ©tait pas facile de trouver un site âdâagriturismoâ dans un espace aĂ©rien oĂč le vol libre soit permis. LĂ -bas, il y a un tas dâespaces aĂ©riens contrĂŽlĂ©s, limitĂ©s, interdits ou dangeureux, et la plupart jusquâau niveau GND (au sol). Quelques-uns commencent Ă 500 pieds du sol. En-dessous, les opĂ©rations agricoles sont encore possibles, mais les rafales et les thermiques gĂąchent le plaisir du vol âde joieâ, sauf respect des pilotes lĂšve-tĂŽt et munis de voiles Ă profil reflexe. Bien que jâaie lâhabitude de voler en solo avec une Reaction bien surchargĂ©e (et par consĂ©quant: ultrastable), cette annĂ©e je voulais absolument faire voler toute la compagnie, il fallait donc aussi penser Ă ne pas traumatiser nos amis et leurs progĂ©nitures par les turbulences prĂšs du sol. Notre choix sâest finalement portĂ© sur une ferme se trouvant entre le CTR de Grosseto et le TMA de Rome, un paysage limitrophe au site protĂ©gĂ© de Maremma. Jâai vĂ©rifiĂ© bien Ă lâavance sur la carte digitale Jeppesen Flite Star quâen partant de lâembouchure du fleuve Albegna et tournant dâabord au nord-est, puis au nord, je pourrai mĂȘme voler jusquâĂ Siena sans voir les Eurofighter basĂ©s Ă Grosseto braquĂ©s sur moi.DĂšs notre arrivĂ©e, on sâest rassurĂ© dâavoir pris une bonne dĂ©cision; non seulement piscine privĂ©e et pistes cyclables Ă volontĂ© Ă©taient Ă notre disposition, mais aussi une aire de dĂ©collage parfaite Ă 50 mĂštres de la ferme. Le lendemain matin, je lâai tout de suite Ă©trennĂ©e, avec mon Parapower Redback Hirth F33 tout neuf.
Cet engin manquant toute mesure ou modĂ©ration a Ă©tĂ© rajoutĂ© Ă notre gamme Parapower vu la croissance de la demande aux biplaces. Au-delĂ de 190 kg de charge utile (donc poids pilote net), sans vent et par temps de chaleur le Simonini Mini 2+ de Fresh Breeze nĂ©cessite une technique de dĂ©collage assez subtile et sportive, ce qui sâapprend, mais ne sâachĂšte pas. Ceux qui nâen ont pas le temps, lâapplication ou les capacitĂ©s, peuvent se procurer une solution de rechange (ou plus prĂ©cisĂ©ment la chance dâune telle solution), au prix de quelques kilos et euros supplĂ©mentaires. Le Hirth F33 communĂ©ment appelĂ© âMonsterâ fait partie de la gamme des moteurs Fresh Breeze depuis un bon bout de temps, jâai eu lâoccasion de lâessayer en solo comme en biplace, ainsi comme motorisation du Flyke, mais jâai dĂ» arriver Ă la conclusion que la force brute seule ne suffisait pas. Si la technique de dĂ©collage nâest pas assez sophistiquĂ©e, la poussĂ©e supplĂ©mentaire reprĂ©sente plutĂŽt une source dâaccidents. Jâai dĂ©jĂ vu un passager pas suffisamment prĂ©parĂ© trĂ©bucher pendant les quelques pas de course nĂ©cessaires au dĂ©collage, et le pilote carrĂ©ment faire la roue au-dessus de lui, grĂące Ă la poussĂ©e colossale du Monster. Je suis sĂ»r quâavec un Simonini, le passager aurait Ă©tĂ© moins pris au dĂ©pourvu, et le pilote aurait pu freiner Ă temps et Ă©viter la chute. Par contre, il est vrai que jâai dĂ©jĂ eu lâoccasion de retourner sur le globe aprĂšs quelques minutes dâespoir suite Ă un dĂ©collage parfait, tout simplement par manque de poussĂ©e.
Jâai donc dĂ©cidĂ© de rendre accessible Ă des pilotes instructeurs bien sĂ©lectionnĂ©s une variante plus âcivilisĂ©eâ, moins âchar volantâ du grand Hirth que le Monster de Fresh Breeze.
La solution: le moteur dâorigine et ses pĂ©riphĂ©ries (pot Ă rĂ©sonateur, carburateur Bing, allumage Power Ignition) intĂ©grĂ© dans une cage Redback trĂšs lĂ©gĂšrement modifiĂ©e, avec le cadre simple classique, dĂ©montable en quatre. JâĂ©tais moi-mĂȘme Ă©tonnĂ© de la lĂ©geretĂ© de lâensemble. Sans dĂ©marreur Ă©lectrique, câest vrai, mais de cette façon son poids dĂ©passe dâĂ peine 2,3 kg celui dâun Simo Mini 2+ Ă©quipĂ© pareil, et reste infĂ©rieur de 6 kg Ă un Monster dâorigine.
Cela fait plus de deux ans que jâai volĂ© en solo avec le Hirth Ă©quipĂ© dâune hĂ©lice quatre pales. Il faut dire que câĂ©tait avec une voile Vox de 27 m2, et que ça mâa fait un peu la sensation de faire danser Schwarzenegger malgrĂ© luiâŠ. Quant Ă la version intĂ©grĂ©e dans le Redback, je lâai essayĂ©e dĂ©but juin, avec une Reaction de 25 m2. Le rĂ©sultat nâavait rien Ă voir⊠La formule petite voile-grand moteur a trĂšs bien marchĂ©. Le harnais spĂ©cial de la sellette et le systĂšme de trim assymĂ©trique de la Reaction ont Ă©tĂ© efficaces pour minimiser la prĂ©cession. Bien sĂ»r, il fallait quand mĂȘme un effort au dĂ©collage â pour le poids supplĂ©mentaire comme pour la course. Par contre, la durĂ©e de lâeffort Ă©tait une fraction de celle dâhabitude. Jâai mis moins dâun quart du temps pour atteindre la vitesse de dĂ©collage que jâaurai mis par exemple avec un moteur Solo de 14 chevaux. Cependant, jâaime autant ne pas penser Ă ce qui aurait pu se passer si la voile ne se gonfle pas bien, ou si les suspentes sont emmĂȘlĂ©es. Dans le cas de ce type de dĂ©collage âĂ postcombustionâ, il nây a aucune chance de corriger la voile, ou de freiner, dâinterrompre le dĂ©collage. Si le gonflage nâest pas parfait, la chute est garantie. Encore heureux sâil nây a que des dommages matĂ©riels. Mais quand tout va bien, on a lâimpression de dĂ©coller en se catapultant dâun porte-avions.
Cette sensation de catapulte, je lâai vĂ©cue Ă mon premier dĂ©collage en Toscane, et pendant les quarante minutes suivantes, jâai sillonnĂ© le ciel comme une hirondelle droguĂ©e. Jâai pensĂ© Ă notre fameux pilote de voltige, Zoli Veres, qui mâa racontĂ© une fois avec un certain attendrissement quâavec sa machine biplan Culp Special il pouvait prĂ©senter son numĂ©ro habituel en partant du bas vers le haut. GrĂące au Hirth, avec une voile rapide on pourrait se lancer dans un looping ou mĂȘme un Immelmann directement suite au dĂ©collage. Mais comme on a lâhabitude de dire de nos jours: Do not try it at home (ne pas essayer ceci Ă la maison). Figures de voltige dĂ©conseillĂ©es â mais de toute façon Ă G positif - mises Ă part, les avantages de cette combinaison se font quand mĂȘme sentir. Par exemple, on peut monter Ă 60 km/h et Ă +4 m/s, pendant que le moteur fait un bruit digne dâun bon vieux Zil Ă essence. Observant de lâextĂ©rieur, on voit monter la machine sur un trajectoire Ă 45 degrĂ©s. Moteur au ralenti, barreau dâaccĂ©lĂ©rateur Ă fond, on peut plomber Ă moins â8 m/s, avec un peu de vent de face, presquâĂ la verticale. Entre le ralenti et le gaz au fond, lâassise en carbon de la sellette tourne au moins quarante degrĂ©s autour de son axe vertical, câest un phĂ©nomĂšne non nĂ©gligable, pas trĂšs agrĂ©able, mais beaucoup moins pĂ©nible que dans le cas des paramoteurs Back Bone Ă moteur Ros 125 de 29 chevaux. Lâexplication de ce fait est que dans le cas de lâhĂ©lice Ă quatre pales, Ă grande incidence, au profil turbulent et tournant Ă vitesse rĂ©duite, la prĂ©cession se dĂ©veloppe progressivement, Ă partir du bas rĂ©gime du moteur, pas comme avec lâhĂ©lice Ă deux pales et au profil laminaire du Back Bone. A part le fait que choisir et atteindre son altitude de vol se font pratiquement au mĂȘme moment avec cette combinaison de moteur/voile, il y a encore un facteur Ă prendre en considĂ©ration: lâimmunitĂ© aux turbulences, due Ă la charge alaire Ă©levĂ©e.
On en avait bien besoin, les premiers jours de nos vacances. A lâexception des demi-heures prĂ©cĂ©dant le coucher du soleil, le vent soufflait Ă 20-25 km/h toute la journĂ©e, avec des rafales Ă 30 km/h. Cela mâa facilitĂ© les dĂ©collages et rendu mes vols prĂšs du sol plus mouvementĂ©s. Comme jâai dĂ©jĂ dit, cette annĂ©e ce nâĂ©tait pas le pĂ©chĂ© tant voluptueux du vol solitaire qui mâa sĂ©duit, mais jâĂ©tais surtout motivĂ© pour partager avec ma famille et mes amis ce plaisir dĂ©terminant mes journĂ©es et la chorĂ©graphie des vacances dâĂ©tĂ© et dâhiver quâon passe dâhabitude ensemble.
Le matin, je dĂ©collais seul pour les vols de dĂ©couverte, le soir jâemmenais les amis et les enfants se baigner dans lâair. Pour cela, il fallait bien sĂ»r une voile tandem, jâai utilisĂ© la voile la plus rĂ©cente dâITV, la Thanka de 43 m2. La barre biplace de Fresh Breeze permet des rĂ©glages entre 30 et 120 kg de poids passager. Comme on pesait tous moins de 100 kg, jâĂ©tais Ă lâaise quant Ă la masse maxi au dĂ©collage. Pour ce qui est des passagers les plus lĂ©gers, jâai dĂ» utiliser un contrepoids: jâai fixĂ© sur le devant de la barre la sacoche de mon appareil photo, remplie du nombre adĂ©quat de boules de pĂ©tanque, que jâai dĂ©terminĂ© en suspendant la sellette sous la terrasse et lâĂ©quilibrant pour compenser lâĂ©cart entre mes 87 kg et le poids plume des plus petites filles de moins de 20 kilos. Avant de dĂ©coller, jâai fait rĂ©pĂ©ter Ă chaque passager ce quâil doit faire: courir, et surtout ne pas sâasseoir dans la sellette avant dâĂȘtre au moins Ă cinq mĂštres du sol. A lâatterrissage, pareil, on court, mais en rĂ©alitĂ©, ce nâĂ©tait mĂȘme pas nĂ©cessaire. Au dĂ©co, je rĂ©ussissais Ă les soulever dĂšs le premier pas, et quatre-cinq pas de course Ă©taient le maximum Ă faire. A lâatterrissage, je me suis prĂ©sentĂ© en finale accrochĂ© au moteur, en tangentant le sol, donc on Ă©tait dĂ©jĂ arrĂ©tĂ©s quand les pieds de mes petits passagers ont touchĂ© la terre.
Depuis un certain temps, je prĂ©fĂšre voler en biplace quâen solo. Est-ce que je mâennuyerais seul? Câest plutĂŽt parce que le plaisir de donner dĂ©passe celui de recevoir. Je prĂ©fĂšre partager tout ce que jâai dĂ©jĂ vu, vĂ©cu, explorĂ© en haut, que de partir solitaire Ă la dĂ©couverte dâautres secrets du ciel.
La joie de mes passagers illuminait le ciel toscan. Reste Ă savoir si lâeuphorie de voler ensemble Ă©tait plus grande pour eux que pour moi. Dans son roman âLe Roi des Aulnesâ, Michel Tournier dĂ©crit longuement cette sensation âphoriqueâ, de porter un enfant. Pour un adulte, câest de se sentir gĂ©ant.
Je nâose pas dire ce quâon ressent quand on fait voler un enfant.
Une chose est sure, câest la sensation la plus intense de toutes celles que le vol peut nous offrir.
Texte et photo: Georges SzabĂł